01/07/2014

Greenwashing by Migros


La Migros et la Coop sont les deux géants de la grande distribution en Suisse, ils dominent très largement le marché de manière pratiquement hégémonique, malgré quelques autres enseignes qui tentent de grignoter quelques parts de marché. Ces deux acteurs sont des coopératives (à but commercial, évidemment, ça ne change rien au schmilblik) qui ne sont donc pas soumises aux pressions d'actionnaires dans leurs décisions. Ce qui provoque un contexte très particulier de consommation en Suisse. Les deux géants oranges dictent "ce que les consommateurs veulent" depuis des décennies.

Dans ce contexte, plusieurs initiatives vont être votées prochainement concernant l'alimentation (initiative "Sur la souveraineté alimentaire" de l'Union Suisse des Paysans, initiative "Pour des aliments équitables" des Verts Suisses, initiative "Pas de spéculation sur les biens alimentaires"des Jeunes Socialistes), le sujet longtemps abandonné par les politique revient au coeur de la table (hinhinhin). Des acteurs comme Ras-la-fraise se battent pourtant depuis des années contre des moulins à vent la logique uniquement commerciale de nos géants oranges.

Migros et Coop font donc des "efforts". Ici un nouveau label "éthique / responsable / durable / biologique / équitable / écologique / socialement acceptable (sic!) / à faible consommation d'énergie", là un minuscule étalage de légumes "biscornus" pour faire croire que l'on se soucie du gaspillage alimentaire, on communique sur les "efforts sur l'emballage" (ah bon, où ça ?*), sur les possibilités de recyclage dans les différents points de vente (ce qui est une obligation légale pour eux et ne vient pas de leur générosité d'âme) et on ajoute du vert sur les étiquettes, le plus souvent possible.


En juillet 2014, la Migros lance "Cumulus Green" (sous-titré "achats judicieux", no comment). L'idée est simple, sur le relevé de ta carte Cumulus (la carte de fidélité de la Migros) sera dorénavant indiqué ton pourcentage "Green", c'est à dire le pourcentage d'articles labellisés (des labels ci-dessus uniquement) parmi tes achats globaux. Les détenteurs d'une carte Cumulus ont donc tous reçu un petit fascicule qui détaille le caractère SUPERGREEN de Cumulus et donc de la Migros.



Dans ce mignon petit catalogue de publicité, on apprend donc que la Migros est SUPERGREEN, qu'on peut participer à un concours pour être le plus green possible, que la Suisse est green à 17%, que la Migros aime les pandas, etc. Sur 7 pages. Les 21 pages restantes sont de la publicité pour des trucs non-green, faut pas pousser. Intéressée, j'ai lu en détail leurs textes et été voir leur site internet, où on apprend que l'objectif de Cumulus Green est le suivant :
"Cumulus Green a pour objectif de renforcer la prise de conscience des consommateurs en ce qui concerne l'achat de produits durables. Cumulus Green informe les participants Cumulus de leur part Cumulus Green et leur permet d'acheter en toute transparence."
"Prise de conscience" "durables" "transparence", on trouve aussi "écologique et socialement responsable", "informations pertinentes" "qui dit mieux informé dit mieux consommer", "responsabilités" "réalisation d'un futur digne de tous", "faire avancer le développement durable", et plein d'autres jolis mots et programmes du genre.

ouuuh les Valaisans tous pas écolos méchants pollueurs pas bien

Moi je dis : bravo ! Supergreen ! Ça va TOUT changer ! Non ? 

Et bien non, ça ne change rien. D'abord parce que Migros ne change rien. Elle n'a pas augmenté sa gamme de produits certifiés, elle propose juste un concours à ses consommateurs les plus "green", forcément, ça va intéresser uniquement ceux qui achètent déjà des produits certifiés. La seule chose qu'a "fait" la Migros, c'est analyser les données que nous lui fournissons à chacun de nos achats et se sont rendus compte qu'une partie non négligeable de leurs consommateurs étaient de plus en plus sensibles aux composantes écologiques et éthiques de leurs achats. Migros a donc décidé d'offrir un programme sur mesure à ses consommateurs "verts" en les mettant en valeur (tactique de sioux : tu valorises quelqu'un, son sentiment de loyauté et de fidélité grandit). Elle joue aussi sur l'attachement "écologique" en le mettant en compétition, un green à 30% va donc tenter de passer à un green à 40% (le concours demande de fixer des objectifs) et donc faire toutes ses courses à la Migros pour acheter le plus possible de produits labellisés pour améliorer son objectif (et éventuellement gagner des bons pour acheter encore plus de produits Migros).

 

Il est temps de sortir la définition de greenwashing, mon ami wiki nous dit :
"L’écoblanchiment, ou verdissage, est un procédé de marketing ou de relations publiques utilisé par une organisation (entreprise, administration publique, etc) dans le but de se donner une image écologique responsable. La plupart du temps, l'argent est davantage investi en publicité que pour de réelles actions en faveur de l'environnement. Le terme vient de l'anglais greenwashing."
On est donc pile-poil dans la définition même au coeur au centre dans l'oeil de la tornade du truc. Mais ce n'est pas le pire. Le greenwashing n'est pas un crime. Et Migros a juste quelques années de retard (quoiqu'elle le pratique depuis longtemps). 

Mais vous savez ce qui m'a le plus fait tiquer ? Il manque un label. Qu'est ce qui permet de réduire le bilan carbone le plus facilement ? Consommer local et de saison, on évite trop de transports et des produits poussés sous serre. Migros a un très joli label très longuement expliqué sur son site, intitulé "De la région". Et bien les produits "de la région" ne participent pas au programme Cumulus Green. Un problème d'éthique ? D'écologie ? Ou juste ils en ont vraiment rien à foutre.


J'étais à ma petite Migros de quartier tout à l'heure, où je ne vais presque plus que pour acheter de l'épicerie et quelques produits laitiers, et je suis passée au rayon fruits et légumes, on ne sait jamais. Il faut savoir que "ma" Migros est minuscule, dans un quartier populaire. Le rayon conserve couvre un pan entier de rayon, c'est énorme. Le rayon fruits et légumes est abominable. Ils doivent stocker leurs produits dans un lieu humide et trop froid, les patates, oignons ou ail pourrissent en deux ou trois jours après achat, pour le reste, les produits du Pérou, du Mexique, d'Egypte et d'Afrique du Sud ne laissent que peu de place à quelques produits européens et encore moins suisses. C'est le rayon primeur le plus déprimant que je connaisse.
L'autre jour (en juin), je demandais à un vendeur s'il y avait des concombres et des tomates suisses. Il me répondait que les gens s'en moquent. Je lui disais que moi non. Il me disait alors d'en acheter plus souvent chez eux pour faire passer le message. Mais il n'y en avait pas en rayon. Lol ? 
Je suis persuadée que les gérants de "ma" Migros pensent que tout le quartier déteste les fruits et légumes. Parce que les gens se lassent, et n'achètent plus, ou se résignent à ne pas s'y intéresser, ou achètent des conserves... ou, comme moi, font plus souvent le marché pour les produits frais à cause de l'étalage ridicule et déprimant où on trouve Granny Smith d'Afrique du Sud, poivrons hollandais sous serre et tomates aqueuses toute l'année.

Cette Migros qui voudrait me faire croire qu'elle incite ses clients à mieux consommer, qu'elle les informe, et que le développement durable fait partie de ses objectifs premiers : elle se fout de ma gueule. 


Sa dernière campagne de pub concerne sa marque "Anna's Best" dont le slogan est "Bien manger, tout simplement". Vous remarquerez le vert du fond de l'affiche, couleur probablement choisie au hasard. Mais attardons-nous sur le slogan : "Aussi frais qu'au marché, disponible au supermarché." Pour être complète cette phrase devrait continuer ainsi : "pour trois fois le prix et des déchets en plus". 

 

C'est pareil pour les pubs suivantes, Migros met en avant le côté "sain" de la composition (fruits, sans conservateurs), mais on ne parle pas du tout du fait que les jus sont à base de concentrés de fruits importés de l'autre bout de la planète avec ajout de sucre et d'eau. On parle du fait qu'il n'y pas de conservateur, on n'oublie de dire que la sauce à salade est pasteurisée et donc n'a pas besoin de conservateurs, et qu'elle comporte beaucoup de sel et de gras pour compenser. On ne dit pas que les "fruits frais" sont "mangeables" plusieurs jours après leur mise sous barquette, au revoir les vitamines, et proviennent de l'autre bout du monde. On oublie aussi de préciser que pour chacun de ces produits, entre la version faite maison et celle que vous trouvez au supermarché, la différence de taux de déchets est non négligeable.


Oui, faire le marché prend plus de temps qu'aller au supermarché et ce n'est pas ouvert tous les jours. Oui, ce n'est pas toujours simple de s'informer, il suffit de voir les multiples initiatives lancées sans se concerter (quel dommage, ensemble ils auraient eu tellement plus de puissance !). Oui, on n'a pas toujours l'énergie et l'envie. Mais ce qu'on met dans notre assiette a un enjeu politique indéniable. La Migros a peut-être compris qu'il fallait qu'elle change d'image. Le problème n'est pas son image, c'est sa politique de fond, et à ce niveau-là, malgré des affiches vertes, rien n'a changé.

Et si je m'attaque à la Migros ici, c'est à cause de sa grosse offensive de greenwahsing du moment, mais la Coop ne fait pas mieux.

Je vais continuer à manger local et de saison, à aller le plus souvent possible au marché, à poser des questions aux maraîchers, aux bouchers, aux fromagers, aux cuisiniers, aux boulangers, je vais continuer à m'informer (si ça vous intéresse, je collecte toutes sortes d'informations relatives à l'alimentation) et à tenter de consommer en gardant en tête le développement durable.

Et je vais continuer à être profondément furieuse contre ceux qui décident dans les supermarchés, en Suisse et ailleurs, et qui continuent à pousser à une surconsommation mondialisée de l'alimentation.

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* On m'a fait remarquer que oui, la Migros avait fait des efforts sur les emballages. Sur la page détaillant ses différentes actions, Migros vous explique qu'elle a mis en place des recharges pour certains produits (c'est effectivement plus courant en rayon), qu'elle utilise plus de matériaux recyclés (exemple avec certaines -pas toutes- boissons dont la bouteille comporte 30% de PET recyclé), qu'un effort est fait sur la réduction de l'aluminim, etc. Mais là encore, c'est beaucoup de bruit pour une volonté politique clairement faible, il y aurait tant de possibilités de réduire encore et encore ces fichus emballages. Et quand une des actions mise en vedette est de remplacer du carton (qui pourrait provenir de recyclage et être recyclé à nouveau) par du plastique, je rigole (jaune).


8 commentaires:

  1. Tellement vrai! En plus cette campagne manque totalement sa cible en braquant les consommateurs "écolo-responsables" qu'ils visent (genre moi...)! Comme autre alternative aux supermarchés, il y a aussi l'agriculture de proximité, comme les Jardins du Flon, du Nord ou d'Ouchy à Lausanne (il y en a d'autres en bio). Tu paies pour une année, puis tu vas chercher ton panier de fruits et légumes produits par un agriculteur de la région. Ca permet aussi d'être solidaire avec les paysans et d'éviter la surproduction... Ca fait plusieurs années que je fais ça et c'est cool, ça t'oblige aussi à être inventif en cuisine, vu que tu choisis pas la composition de ton panier ;-)

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    1. Merci pour ton commentaire !

      Oui, les paniers sont une autre alternative très intéressante, mais qui ne fonctionne pas avec mon mode de vie... et j'aime tant faire le marché :-)

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    2. J'avoue que je vais aussi au marché pour compléter, et surtout pour le plaisir... Merci à toi pour ton blog toujours très intéressant et documenté!

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  2. Epouse-moi !!! Oh wait...

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  3. Merci à mlle-cassis de m'avoir orienté ici, c'est intéressant de voir un autre point de vue! Je peux comprendre que l'on ne soit pas emballé - voire pire! - par ce projet. Personnellement, je le vois d'un assez bon oeil, mais j'ai conscience que c'est sans doute par déformation professionnelle. Travaillant dans le domaine, je sais que ce pourcentage signifie une seule chose: c'est le pourcentage de produits achetés comportant ces certifications précises. Ca ne veut rien dire d'autre, et ça ne veut pas non plus dire que ces produits certifiés sont exempts d'une consommation d'énergie grise monstrueuse, etc. Et il est clair que le petit livret fourni pour expliquer la démarche est insuffisant pour faire comprendre tous les enjeux...en jeu!

    Je vois cette initiative plutôt comme un premier pas. En cela, elle me plaît. Maintenant, il est clair que si elle n'est pas suivie d'un développement d'autres mesures, je pourrais rapidement revoir mon jugement!

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    1. Merci pour ton commentaire Julien !

      Le problème ici c'est que justement, c'est n'est PAS une mesure. C'est juste de la pub. Rien d'autre. Pas plus de labels, pas plus de produits labelisés, aucun changement au niveau de la Migros. Juste du greenwashing. Ce n'est PAS une action, c'est juste du vent.

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