Gros plan

04/05/2015

The Hundred-Foot Journey, gourmand mais pas assez épicé


Vous connaissez mon amour pour les films à thématiques culinaires, j'étais pourtant passée à côté de The Hundred-Foot Journey (pitoyablement traduit en français par "Les recettes du bonheur", meurt traducteur de titres hollywoodiens, meurt) réalisé par Lasse Hallström et sorti en salles en 2014.

Une famille de restaurateurs indienne vient s'installer dans un petit village français dans le but d'ouvrir un restaurant. Mais la maison juste en face de celle qu'ils ont choisi abrite un restaurant avec une étoile Michelin dont la tenancière est incarnée par l'extraordinaire Helen Mirren. Le jeune cuisinier de la famille, Hassan, va traverser cette rue entre le monde des "simples cuisiniers" et le monde des "chefs" (d'où le titre "le voyage de 100 pas" comme correctement traduit chez nos amis du Québec), entre la cuisine indienne et la gastronomie à la française, entre une cuisine d'épices et de sentiments et un exercice qui a pour unique but l'excellence et la reconnaissance.


Lasse Hallström n'a pas son pareil pour créer des atmosphères de petits villages, qu'ils soient américains (comme dans le merveilleux What's Eating Gilbert Grape?) ou français (comme dans Chocolat), et de très jolies histoires d'amour tout à fait chastes mais passionnées (comme dans Chocolat, What's Eating Gilbert Grape (bis) ou Salmon Fishing in the Yemen), c'était donc le réalisateur idéal pour adapter ce roman de Richard C. Morais. Tout y est, la jolie place centrale avec ses pavés, sa terrasse "typique" (aussi typique que le quartier français d'un parc d'attraction) et son marché de petits producteurs locaux, la vue lointaine avec son clocher, ses collines, sa rivière et ses multiples couchers de soleil (on se croirait dans un Disney... ah oui, c'est bien eux qui produisent). 

Totalement caricatural donc, mais assumé, on nous raconte une histoire, presque un conte, si vous acceptez ce contrat de lecture, ce film est tout à fait plaisant. Les acteurs sont tous fabuleux, y compris Charlotte LeBon qui pourtant m'irritait profondément sur le plateau de Canal +, ici elle est parfaite, Hassan réussit à merveille à passer du jeune homme assez insignifiant au sex symbol, Helen Mirren est Helen Mirren (c'est-à-dire parmi les meilleures actrices au monde, et les plus belles, en plus il paraît qu'elle est gentille, très intelligente, et très drôle, bref, je l'aime).

Si vous prenez ce film comme un joli conte, comme l'était Chocolat par exemple, et qu'à aucun moment vous ne tentez de chercher du réalisme dans les histoires, les gestes, les produits, les plats et les hiérarchies culinaires, vous allez passer un excellent moment.


Mais malheureusement, j'ai eu du mal à respecter dans mon contrat de lecture. 

J'ai été déçue que la cuisine indienne soit autant sous-traitée, presque méprisée, quel dommage, quelle méconnaissance de sa richesse et de sa subtilité. J'ai grogné quand le personnage de Charlotte, aspirante Cheffe, explique à Hassan que les bases de la cuisine française sont les quatre sauces : béchamel, mayonnaise, tomato et espagnole. Il y a un fond de veau de vérité sur les sauces, les fameuses cinq (et non quatre) bases de sauces décrites par Escoffier, mais elles sont ici très mal expliquées et on est plus dans les années 50. Et si le film paraît un peu intemporel (comme le sont la plupart des films d'Hallström, ce qui accentue leur côté conte), il y a un téléphone portable dans une des scènes du tout début du film, on est donc dans une temporalité récente. La béchamel revient d'ailleurs dans une deuxième scène et les protagonistes la goûtent comme s'il s'agissait d'un jus précieux, il faut n'avoir jamais goûté de béchamel pour l'utiliser ainsi dans la narration, dommage.

De très nombreux autres détails du genre m'ont chiffonné pendant tous les films, l'attention aux étoiles et uniquement à ça, l'idée que le personnage de Helen Mirren, bien que n'étant pas du tout cheffe, soit celle qui décide des recettes et juge chaque plat, etc. D'autres détails m'ont ravis, la réflexion sur la fraîcheur des produits, sur le terroir local, sur l'absurdité de la course à la cuisine moléculaire, ou à la renommée parisienne, mais ils sont trop caricaturaux pour relever le reste.


Au final, un feel-good movie qui aurait pu être une merveille si ils avaient engagé et écouté un scénariste spécialisé en gastronomie. Un film qui parle principalement de cuisines indiennes et françaises racontées par un auteur qui ne connaît vraisemblablement que des restaurants et qui n'a jamais cuisiné et un réalisateur qui n'en sait pas beaucoup plus.

Malgré ces défauts, on passe un joli moment, mais ce film aurait pu être encore meilleur, je reste sur ma faim, c'est fade, ça manque d'épices et de précisions dans les découpes.


Anecdote inutile : à la prod il y a Oprah, Spielberg et Disney, les films culinaires vont pleuvoir ces prochaines années, le créneau culinaire est en vogue, attention aux contrefaçons industrielles, préférez le terroir et les petits artisans... dans votre assiette comme dans votre culture !

8 commentaires:

  1. Effectivement, le film n'est pas désagréable, mais j'avais largement préféré le bouquin dont il est tiré. Le roman se décompose en 3 parties: la vie en Inde avant que la famille d'Hassan ne doive fuir, le passage dans le village du Jura, et la carrière d'Hassan à Paris (où il a son propre restaurant étoilé, et la fin diffère pas mal de celle du film). Je comprends que le film ait choisi de se concentrer sur la partie centrale, mais moi, ce que j'avais préféré, c'était le début, vachement plus réaliste - dramatique, même - avec une grande importance accordée à la cuisine indienne, au concept de transmission et à la sensualité de la cuisine.

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  2. Je partage totalement ton analyse, et tu exprimes parfaitement ce qui m'avait "chifonnée" sans pouvoir mettre le doigt dessus!
    Le fait que le réalisateur ne prenne pas totalement le parti de la fable porte préjudice à l'histoire. On s'émerveille, puis on s'agace du manque de réalisme... Dommage en effet, car j'ai passé un bon moment, tout en regrettant que l'idée initiale ne soit pas mieux exploitée.

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  3. Bah, dans mon trou perdu, ne l'ai pas vu, mais je vous crois ;) Les scénaristes qui sont par quinzaine ou vingtaine par films aux US auront sans doute été orientés plus sur une histoire d'amour que culinaire.

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  4. Mais euh !... Les titres de films sont rarement choisis par les adaptateurs ^^ C’est le résultat de décisions qui se font à un niveau bien plus haut, mélange souvent de marketing et de commerce. Mais je suis d’accord que le titre français est plat comme tout.
    J’adore Charlotte Le Bon mais je crois que je vais faire l’impasse sur ce film, s’il n’y a pas un minimum de réalisme. Et en nourriture indienne, rester sur The Lunchbox.

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    1. C'est bien pour ça que je critique le "traducteur du titre", qui qu'il soit ! :-)

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  5. Encore un film où je vais avoir faim ;-)

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  6. Comme tu dis, c'est un conte: on y montre une famille de restaurateurs indiens imaginée dans une France imaginaire et des gastronomies qui correspondent davantage à une vision figée de la cuisine (passéiste par moments, idéalisée à d'autres) qu'à la réalité. On y oppose une cuisine indienne "modeste" à la "grande" cuisine française, en concordance avec les horizons d'attente (et les préjugés) du spectateur profane. J'aurais aimé qu'on exploite davantage les cuisines elles-mêmes, le fait qu'au marché, les deux restaurateurs convoitent les mêmes produits pour réaliser des plats très différents. Au sens figuré, c'est peut-être à cela que réfère le voyage de 100 pas, au fait que des gastronomies éloignées sous plusieurs aspects peuvent trouver un terrain d'entente, ce qui nous mène ici à la cuisine moléculaire. J'ai somme toute passé un agréable moment devant ce film, mais peut-être devrais-je lire le livre?

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    1. Avec le commentaire d'Armalite ci-dessus, dont je respecte toujours l'avis littéraire, ce livre s'est effectivement ajouté à ma liste à lire !

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