Gros plan

18/04/2022

Recettes d'Ukraine

 


Quand la guerre en Ukraine a commencé le 24 février, soudain, l'Europe s'est rapetissée. Ce qui parfois nous parait très lointain est là, à quelques heures de voiture et de train. Mais à moins d'y avoir déjà voyagé, ou de connaitre une personne aux origines ukrainiennes, nous étions nombreux à ne rien connaitre de ce pays, à part quelques bribes à base de Tchernobyl, ex-URSS, ... et pas grand chose d'autres. C'est dans cette région floue d'Europe de l'Est, où on ne détache des pays qu'après y avoir voyagé, même si nos cours d'Histoire nous en ont enseigné les frontières.

En quelques jours, après avoir été épidémiologistes, les spécialistes géopolitiques ont pullulé. Et m'ont très vite fatiguée. En allant chercher des voix sur place, et comment m'informer sans me terroriser, je suis tombée très rapidement sur le message d'un chef ukrainien, très vite rejoint par d'autres, puis par un collectif : Cook for Ukraine. Derrière cet appel, il y a plusieurs choses. Déjà une levée de fonds, afin que les restaurants qui continuent tant bien que mal à fonctionner puissent nourrir les habitants alentours gratuitement. Mais plus profondément, il y a aussi un appel à la découverte de la culture ukrainienne. La nourriture, c'est de la culture.

En parlant de leurs plats, on parle d'identité, d'Histoire, de géographie des sols et du climat, on parle d'influences et de différences régionales, on donne corps dans notre esprit et par nos sens à un pays et aux saveurs de son peuple. Et on ne pourra plus jamais le confondre avec la Russie. La culture gastronomique n'est pas neutre. Dire que le bortsch est ukrainien n'est pas neutre (même si c'est factuel). Et #CookForUkraine c'est de la gastrodiplomatie (c'est quoi ? Je laisse Alessandra vous expliquer.)

Si vous avez envie de soutenir financièrement ces actions, je vous propose : l'incroyable organisation World Central Kitchen du chef Jose Andres, qui était sur place moins d'une semaine après le début du conflit pour nourrir les réfugiés à la frontière et est aujourd'hui à l'intérieur du pays, juste derrière les lignes de l'armée ukrainienne pour nourrir la population (et qui le fait pour chaque crise humanitaire, en se déployant en quelques jours partout dans le monde). 

Aujourd'hui, c'est la guerre depuis plus de 2 mois, beaucoup de chefs et de personnalités ukrainiennes continuent à insister sur l'importance de partager et découvrir leur cuisine et leur culture. J'avais envie de vous proposer quelques recettes, que j'ai testées avec succès, afin que vous aussi puissiez rejoindre le mouvement, en partageant vos résultats avec les tags #CookForUkraine et #ChefsForUkraine. 



Mes recettes viennent de sites ukrainiens de chefs ou de blogueurs et blogueuses internationaux avec des origines ukrainiennes, j'ai essayé de les adapter de manière à garder le plus de saveurs possible, parfois en les simplifiant ou en proposant des ingrédients qu'on trouve facilement ici. Si vous voulez aller lire les originales, commencez par Ievgen Klopotenko, qui a traduit ses recettes en anglais et a écrit plusieurs livres de cuisine. 

Enfin, si vous avez la flemme, pas les capacité ni le temps de cuisiner, mais tout de même envie de découvrir la cuisine ukrainienne, à Lausanne vous pouvez aller au très joli Sémaphore (qui collecte également des objets de première nécessité pour les réfugiés, lisez leur liste avant d'y aller) ou passer commande chez Babouchka.


Commençons par parler de quelques ingrédients, car de nombreux plats sont souvent accompagnés de :

- Crème aigre : ce n'est pas la même chose que notre crème acidulée. La vraie crème aigre est de la crème fraichement séparée du lait, laissée à fermenter quelques heures jusqu'à ce qu'elle tourne légèrement, avant pasteurisation. Ce sont les ferments naturels qui, en la faisant maturer, lui donnent sa profondeur et son goût aigre. En la mélangeant dans un bouillon chaud, elle fondra, mais ne deviendra pas des petits morceaux blancs... qui permettent de reconnaitre que votre crème aigre est en fait produite artificiellement (mais très bonne quand même, comme la crème acidulée qu'on trouve ici).

- Aneth : moi qui voyait plutôt l'aneth partout en Scandinavie, je la découvre également omniprésente dans la cuisine ukrainienne. Je la croyais liée aux gastronomies du poisson, elle est en fait plutôt liée à la météo. C'est une herbe qui résiste très bien aux températures basses et permet une touche de fraicheur et de vitamines sur des plats souvent roboratifs composés de beaucoup de légumes racines, eux aussi liés aux longs mois d'hiver. C'est également une herbe très appréciée pour relever une soupe froide en été (il existe des dizaines de recettes de soupes froides ukrainiennes, ce sera mes tests de l'été).

- Betterave : la star, celle qu'on attend, qu'on imagine omniprésente, celle que beaucoup par ici croient ne pas aimer, mais dont la douceur et intensité gustative permet de briller de mille façons. Ce n'est pas un mythe. Il y a beaucoup de recettes de betterave, en soupe, salade, accompagnement. Mais en se focalisant sur elle, on risque de rater la diversité d'autres produits de la cuisine ukrainienne. Ce serait dommage, car ce grand pays agricole, qui cultive du blé et des tournesols pour nourrir toute l'Europe, a bien d'autres saveurs à nous dévoiler. Mais puisqu'il faut (pour mon plus grand plaisir) parler de betterave, allons-y ! (Pour celleux qui ne trouveraient pas assez de betteraves dans cet article, j'en avait écrit un autre 100% betterave.)

- Pickles : il y a des centaines de recettes de pickles, toutes plus alléchantes les unes que les autres. Ce qui est assez logique pour un pays qui vit beaucoup d'agriculture et qui a un long hiver, il faut pouvoir conserver la fraicheur des légumes du potager familial tout l'année. Je ne vous présente qu'une recette ici, mais comme pour la Turquie ou la Géorgie, des spécialistes ont écrit des livres entier uniquement sur les pickles de la région. 



Pickles de chou à la betterave

- 1/2 chou blanc, ciselé

- 1 betterave, râpée au-dessus d'un bol

- 3 gousses d'ail

- 5dl d'eau, 1cs sucre, 2cc sel, 1dl vinaigre de cidre (ou 0,5 dl vinaigre blanc), grains de poivre noir, feuilles de laurier, faire bouillir et retirer du feu immédiatement

Dans un grand bocal propre, mettre le chou mélangé à la betterave, ajouter le liquide encore chaud jusqu'à tout recouvrir, fermer le bocal, laisser mariner 3-4 jours.

Conserver ensuite au frigo. Et en manger avec tout : un plat de viande et patates, une salade, un sandwich, une assiette de fromages, avec tout. 




Salade concombre-radis à la crème aigre

- 1 botte de radis

- 1 concombre perse (ou 1/2 concombre tradi)

Couper en très fines tranches, saler, malaxer et laisser reposer 30 minutes (maximum). 

- 4cs crème aigre (ou yoghurt grec), 2 cs huile d'olive, 1 gousse d'ail râpée (ou 4 feuilles d'ail des ours*), le vert d'un oignon vert finement ciselée, 1cs jus de citron, sel, poivre : bien mélanger et garder au frais le temps que les légumes dégorgent.

Bien égoutter les légumes, mélanger à la sauce, garder au frais jusqu'au moment de servir.




Bortsch 

Commençons par dire qu'il n'y a pas une recettes de bortsch, mais des centaines. Des au boeuf, au porc, à l'agneau et même végétariennes (ou des légumineuses remplacent la viande). Il y a même des bortsch sans betterave (deux recettes de bortsch vert ci-dessous). Mais cette recette emblématique de la cuisine ukrainienne a des bases communes : un riche bouillon aromatique, une base de légumes et du chou, de la betterave, des herbes. Et des accompagnements différents selon les saisons, par exemple des tranches de radis et/ou de tomates en été, un pain noir et un morceaux de lard avec de la moutarde en hiver. Pour être authentique, il faut faire avec des légumes locaux et de saison, de la viande à bouillir pas trop maigre, de la patience, de l'amour et de la betterave. La version que je vous propose est une adaptation simplifiée de la recette du chef Ievgen Klopotenko, que je vous recommande de lire car il explique justement toutes ces variantes et donne d'excellents conseils.

- 200g de ribs de porc (ou du paleron de boeuf, ou des morceaux pour ragoût, etc.)
- 200g de chou blanc
- 3 grosses patates
- 2 carottes
- 1 oignon
- 3 gousses d'ail
- 1 grosse betterave
- 1 boîte de tomates pelées
- 2 cs concentré de tomate
- condiments : 2cs sucre, 1cc sel, 4 graines poivre noir, 4 graines de piment de la Jamaïque (ou mélange 4 épices, ou muscade + girofle), 2 feuilles de laurier, huile végétale neutre.

L'idée est simple : créer des couches de saveurs et de textures. Vous pouvez aussi faire cette recette en cocotte-minute pour accélérer. Ou comme moi, laisser mijoter.

1. Couper les patates en dés, les carottes et la betterave en julienne. Émincer l'oignon et l'ail.

2. Couper la viande en morceaux, la faire dorer dans une grande casserole avec un peu d'huile.

3. Ajouter les oignons. Puis les carottes et la betterave et le concentré de tomate. Faire brunir puis déglacer avec la boîte de tomate. Ajouter les patates, les condiments, le chou. Puis couvrir d'eau.

4. Laisser mijoter jusqu'à ce que la viande s'effiloche toute seule (1h-2h selon les morceaux choisis). Ajouter l'ail râpé,  goûter, rectifier le sel. Laisser cuire 2-3 minutes. Si la soupe vous semble un peu plate, ajouter 1cc de sucre et 2cs de vinaigre blanc.

Servir avec de la crème aigre et de l'aneth. À défaut, de la crème acidulée ou du yoghurt grec et de la ciboulette.




Kielbasa kapusta

La Pologne et l'Ukraine revendiquent les deux cette recette. Tout ce que j'en pense c'est que c'est délicieux. Je fais partie de ces gens bizarres qui font de la choucroute maison chaque hiver. Mais de la choucroute du commerce ira très bien aussi ! C'est un accompagnement, mais vous pouvez aussi le manger en plat principal en l'accompagnant de patates vapeurs et d'une touche de moutarde. 

Il vous faut : 1 gros oignon pour deux, du lard, ou bacon (si quelqu'un me dit où trouver de la kielbasa qui donne le titre à cette recette, saucisse typique de cette région, qu'on trouve aussi très facilement aux États-Unis, je lui serais éternellement reconnaissante), un peu de sucre, de la choucroute.

Dans une poêle à feu moyen, faire griller des fins morceaux de lard. Ajouter les oignons émincés et laisser dorer, ajouter un peu d'huile si nécessaire. Les oignons doivent dorer, pas devenir bruns, on cherche leur côté doux et sucré pour l'équilibre de cette recette, baisser le feu si nécessaire. Cette étape prend 10 bonnes minutes, voir plus selon vos oignons. Mais c'est la plus importante. Quand ils sont parfaitement dorés, ajouter une touche de sucre (ma préférence va au sucre brun pour cette recette), puis la choucroute bien égouttée, et laisser revenir en mélangeant, le temps que la choucroute soit chaude.

Et voilà. Oui, c'est tout. Et c'est dé-li-cieux. Acidulé, sucré, salé, umami, une agréable texture, un bonheur. 

Pour une version végétarienne (et même vegane), faire dorer les oignons dans de l'huile, puis ajouter des champignons séchés réhydratés. Ils seront la touche d'umami et la texture qui manquent si on n'a que la choucroute et les oignons. C'est également une recette traditionnelle que j'ai vue sur de nombreux sites.



Chicken Kyiv** à l'ail des ours

La recette du "Chicken Kiev" est délicieusement rétro. Mais son histoire est plus complexe qu'il n'y parait. Les sources sont contradictoires, mais la plus probable est son invention au XIXe siècle, par un cuisinier ukrainien (qui travaillait soit pour une famille russe soit dans un hôtel près de Moscou, les sources divergent) qui a nommé cette recette de poulet -roulé, farci au beurre manié à l'ail et au persil, et pané- selon sa capitale d'origine. Le milieu du XIXe siècle, c'est la période où la gastronomie française et ses techniques commençaient à s'exporter un peu partout en Europe, soit par des chefs français qui voyageaient, soit par des chefs européens qui venaient étudier à Paris puis rentraient adapter leur cuisine aux techniques française. C'est pour ça que cette recette est aussi classique dans sa méthode, avec des produits simples et trouvables partout.

Pour les plus aguerris d'entre vous, je vous conseille de tenter l'originale (par exemple celle-ci). Moi, j'avais plutôt envie de vous proposer une version plus simple et contemporaine que tout le monde pourra tenter. Si vous êtes végétarien : faites le beurre manié et mettez le sur des radis "à la croque de Kyiv", attention, addiction possible. #attentifsensemble

Beurre à la Kyiv

- 50g beurre à température ambiante

- 3cs herbes fraiches finement ciselées : la recette classique demande du persil, je vous propose un mélange avec de la ciboulette, de l'ail des ours** et du persil, ou des feuilles tendres de céleri. 

- 1/2 ou 1 petite gousse d'ail râpée (ail le plus frais possible)

- zeste d'un demi-citron

- 2 pincées de fleur de sel

Mélanger intimement, mettre dans un ramequin couvert au frais. Pour une jolie présentation, mettre dans un sachet de congélation en le roulant en boudin, il suffira de couper des tranches qui deviendront des jolis disques de beurre manié.

Conseil : doubler ou tripler la recette, ça se garde 1-2 semaines au frigo, indéfiniment au congélateur, et c'est délicieux sur du poulet, du poisson, des patates et légumes vapeurs, etc.


Pour le plaisir poulet :

Version panée : 

Aplatir vos escalopes en les mettant entre deux films platique et en tapant dessus avec un rouleau à pâte. Saler, poivrer, tremper dans de la farine, de l'oeuf, de la panure. Faire frire à feu moyen 5-6 minutes de chaque côté. Laisser reposer sur du papier absorbant.

Version easy peasy :

Saler les escalopes de poulet et les laisser reposer 20 minutes. Éponger des deux côtés. Mettre dans une poêle huilée froide et allumer à feu moyen. Ne pas toucher au poulet jusqu'à ce qu'il soit cuit jusqu'au milieu de sa hauteur (environ 10 minutes), puis retourner et laisser cuire l'autre face 5 minutes. Puis laisser reposer 2 minutes.

Servir votre poulet avec une quenelle de beurre manié à la Kyiv. Et pourquoi pas des pommes de terre vapeur, du chou picklé à la betterave, une salade radis-concombre, un peu de crème aigre et un quartier de citron. (Vous aussi vous avez terriblement faim là tout de suite ?)



Paskas

J'ai triché. Pour cette recette, j'ai demandé à mon amie Esme, pâtissière extraordinaire, de tester. C'est une brioche pascale, je ne pouvais pas passer à côté. Selon une recette authentique donc, voici la version testée et approuvée par Esme.

Ingrédients à température ambiante :

- 10g levure fraiche (ou 3g levure sèche à activer dans 30g d'eau tiède et une pincée de sucre)
- 50g de beurre
- 100g de sucre
- 2 oeufs battus
- jus d'1/2 citron + zestes d'1 citron et 1 orange
- pincée de sel
- 100g de lait entier
- 370g de farine blanche

Mélanger et pétrir comme pour une pâte à brioche (faire blanchir beurre et sucre, puis ajouter tous les ingrédients dans l'ordre précisé ici, levure en même temps que le lait). Réserver couvert pour une première pousse jusqu'à ce que ça double.

Séparer en 1/3 et 2/3. Faire une boule avec les 2/3 et mettre dans un moule rond graissé.
Avec le 1/3 restant, séparer en trois et faire de fins boudins, les tresser, coller sur la boule avec un peu d'eau. Laisser pousser une deuxième fois.

Quand c'est suffisamment gonflé, dorer à l'oeuf, enfourner dans un four préchauffé à 180 degrés, au bout de 10 minutes, baisser à 160 degrés (sans ouvrir le four) et laisser cuire encore 40 minutes.



Autres fameuses recettes ukrainiennes 

Merci à Niels et Anna Ackermann d'avoir relu ma liste et de m'avoir donné encore quelques nouvelles envies de tester. Voici donc des liens de recettes, que je n'ai pas (encore eu le temps de) tester (sinon je ne publierai jamais cet article) (la plupart sont en anglais) :

  • Varenyky salés ou sucrés (pâtes farcies)

  • Bortsch vert (à l'oseille, pour celleux qui n'aiment pas la betterave, ou aux épinards si vous ne trouvez pas d'oseille)

  • Halushky (gros spatzli servi avec crème aigre, champignons, oignons, etc.)

  • Syrniky (pancakes au fromage frais)

  • Holubtsi (chou farci)

  • Deruny (entre rösti et pancake de patate)

  • Banosh (la polenta à l'ukrainienne)

  • Lviv cheesecake (cheesecake dessert, apparemment toutes les personnes qui le goûtent adorent)

  • Makivnyk (gâteau roulé au pavot)

Et si vous voulez en lire encore plus, je vous recommande le site Etnocook avec beaucoup de recettes, mais aussi d'histoires et d'Histoire autour de la cuisine ukrainienne. Ou vous pouvez acheter le livre de rechette de Ievgen Klopotenko.

J'espère vous avoir donné autant envie que moi de découvrir plus profondément cette culture culinaire et cette culture tout court. Maintenant il faut que je vous laisse, j'ai broderie ukrainienne !

Si j'ai oublié une recette indispensable au répertoire, que vous adorez ou simplement que vous avez envie de partager, n'hésitez pas à en mettre le lien en commentaire (que je modère).


🌻🌻🌻


* Vous l'aurez compris, j'ai commencé ces tests à la saison de l'ail des ours, qui touche bientôt à sa fin. Ce n'est pas un ingrédient ukrainien, c'est juste un ingrédient que je glisse partout dès qu'il y en a. La cuisine ukrainienne aimant les herbes et respectant les produits locaux et de saison, cela me semble plutôt dans l'esprit. 

** La graphie "Kiev" c'est en russe. La graphie Kyiv, c'est en ukrainien. Comme découvrir une cuisine et son histoire, nommer les choses n'est pas neutre... même si la recette traditionnelle s'appelle encore Chicken Kiev, c'était l'occasion d'en parler.


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