Gros plan

17/09/2022

Être une femme en ligne est un métier dangereux


 
Vous vous demandez peut-être pourquoi certaines féministes utilisent des stratagèmes comme "vi0l" (avec un zéro à la place du o) ou "s3x". C'est pour éviter d'être bannies des réseaux sociaux et pouvoir continuer à s'exprimer. Parce que dès qu'une utilisatrice est prise pour cible par des masculinistes, très organisés, si les mots "viol" ou "sex" sont identifiés par un algorithme et que la publication est dénoncée, l'utilisatrice risque de se faire bloquer, temporairement ou plus longuement. Ce qui est très embêtant quand on est, justement, une militante qui a besoin de ces réseaux pour faire avancer la cause féministe.

Alors je vais vous raconter une petite histoire. Pas pour me plaindre. Pas parce que j'ai l'impression que ce que j'ai à dire moi est important ou particulièrement intéressant. Mais pour montrer les mécanismes qui musellent les féministes sur les RS (en particulier twitter, facebook et instagram).



Épisode 1 : répondre à un compte féministe connu

Rose Lamy, plus connue sous le nom de Préparez-vous pour la bagarre sur instagram et twitter, est une autrice féministe (dont je vous recommande d'ailleurs le livre et je me réjouis de lire celui qui sort la semaine prochaine). Il y a quelques jours, elle fait un thread twitter (= plusieurs tweets qui se suivent) en expliquant que lorsque un homme parle du fait qu'il a été violé, il se reçoit des tonnes d'injures. Elle parle aussi de cette fausse solidarité masculine qui ne marche que quand il s'agit de dire #notallmen.

Sous ce thread, je me suis permis de répondre en ajoutant une statistique : 96% des viols sont commis par des hommes. 

Ce chiffre vient de l'INSEE, c'est très précisément 96,5% en 2019 en France. Voici la source.


Sachez qu'en Suisse, pour 2021, ce chiffre est de 97,26% (1774 hommes pour 50 femmes, source officielle sur excel.)

Ce tweet-réponse, 2 jours après sa publication, a posé problème à twitter pour "hateful conduct". Dans ces cas-là, deux possibilités. Accepter le verdict et donc reconnaitre avoir enfreint les règles de twitter supprimer le tweet. Ce qui vous vaudra une interdiction de 12h de tweeter. (Mais vous pouvez continuer à lire twitter, et même à envoyer des messages privés.) Ou décider de faire appel. Ce qui peut prendre beaucoup plus longtemps, et pendant ce temps-là, plus d'accès du tout à twitter.


Par flemme et par non-envie de me lancer dans un marathon perdu d'avance contre twitter, j'ai accepté d'effacer mon tweet. Et attendu 12h que twitter me revienne. Pendant ces 12h, j'en ai parlé autour de moi et les fidèles @SandG_ et @shalf ont tweeté eux aussi. Ma très chère Sandrine a subi le même sort que moi : bloquée 12h. Mon mari par contre, n'a pas été bloqué et a tenté d'alerter toutes les personnes qui peuvent avoir de l'influence sur twitter au niveau modération.



Épisode 2 : rectifier la statistique

Le lendemain matin, twitter m'est rendu car j'ai purgé ma peine. Et je décide donc de tweeter la même statistique, en m'excusant platement auprès de twitter d'avoir fait une telle erreur, il ne s'agissait pas de 96%, mais de 96,5%. Avec le tableau de l'INSEE ci-dessus. Quelques heures à peine plus tard, bam, même réaction, même verdict : hateful conduct.


Mais cette fois-ci, hors de question d'accepter un tort : c'est twitter qui se trompe ici. Et j'ai donc fait appel. J'ai peu d'espoir que quoi que ce soit se passe. Pour faire bouger les choses, il faudrait que je prenne un·e avocat·e afin de rédiger un courrier recommandé au QG de twitter aux USA. Ou que la presse s'empare du sujet. Ou que ça devienne trendy sur twitter. Mais je ne suis vraiment pas assez connue pour ça.
Je vais néanmoins continuer la procédure jusqu'au bout. Quitte à perdre mon compte. Tant pis. C'est trop important pour ne pas le faire.

Afin de continuer à en parler, j'ai fait quelques storys sur mon compte instagram, et une publication explicative sur facebook... et là bam : discours haineux. Publication supprimée.


 
J'ai également fait appel au Conseil de Surveillance. J'ai peu d'espoir.



Au même moment, le tweet de mon mari a été défini par twitter comme non-visible en France, sur la base de la loi LCEN (Loi sur la Confiance dans l'Economie Numérique) art. 6. Il a donc été signalé par qqun et twitter a automatiquement masqué le tweet sur le territoire français, pour ne pas contrevenir à la loi si le tweet en question était du "hatespeech". C'est également arrivé à @meridaecosse, dont le tweet a été masqué sur le territoire français.




Récapitulons : des tweets qui citent des statistiques produites par l'État Français, sont donc immédiatement masqués pour que twitter soit safe. Et les mascu ont gagné. 
C'est d'une connerie abyssale. 



Mais pourquoi être accusés de contenu haineux alors que nous ne faisons que citer une statistique ?


Parce qu'on parle de viol. Et d'hommes. Et du fait que pratiquement tous les viols et agressions sexuelles sont commises par des hommes. Et ça, les masculinistes, ne peuvent pas le supporter. C'est un chiffre peu connu et pourtant évident pour qui s'est un tout petit peu intéressé au sujet. Ce sont les hommes qui violent. Et "hommes" et "violent" dans la même phrase, ça allume des alarmes partout. Et dès qu'un nid de masculinistes a repéré une cible qui ose ce crime de lèse-mâle, cette cible va être dénoncée à chaque publication, où qu'elle se trouve. (J'ai d'ailleurs passé mon compte instagram en compte personnel et privé, pour ne pas le perdre lui aussi, et réactivé mon compte twitter @mllefunambuline afin de ne pas perdre le lien avec ce qui se passe car plein de gens s'y intéressent.)

Même si mon compte n'est pas grand (2700 followers environ), le fait d'avoir répondu à un grand compte très observé a fait de moi une cible. Les masculinistes sont extrêmement bien organisés. Ne faisons pas l'erreur de croire que ce sont uniquement des incels qui vivent dans la cave de leurs parents et n'ont que ça à faire de leurs journées, c'est un cliché éculé qui permet aux autres qui ont les mêmes comportements de ne pas se sentir faisant partie des "méchants". Les masculinistes sont dans toutes les couches de la société, très puissants, avec comme but avoué de ne surtout pas lâcher une once de pouvoir et de privilège à tou·te·x·s celleux qui ne sont pas un homme, blanc, cis-het (HSBC). Ils sont de toutes les classes sociales, de tous les âges, et ils ont mêmes des alliées chez les femmes (par exemple les terfs).



Mais alors, ce serait une bonne idée de supprimer toute modération sur les réseaux afin que les féministes ne perdent pas leurs voix ? Spoiler : non.


Le problème n'est pas qu'il existe une modération. Elle est indispensable. Vous avez tou·te·s lu une histoire ou l'autre sur une IA qui devient raciste et sexiste en passant 24h en ligne. Il est indispensable que des règles existent et correspondent aux lois actuelles des pays dans lesquels les propos sont tenus. Par exemple, en Suisse un propos raciste ou LGBTQIAphobe est un délit. Donc si quelqu'un tient ce genre de discours en ligne, il est important de pouvoir dénoncer ces propos.

Le problème est la manière dont c'est fait. Par des machines et quelques humains (qui finissent par souffrir de PTSD à force de lire des horreur à longueur de journée). Mais ici nous parlons de modération automatique, car il y a beaucoup trop de contenu produit pour que ce soit envisageable de faire chaque cas "à la main". Le problème réside dans la manière dont sont codés ces algorithmes de modération. Vous avez certainement en tête des peintures classiques censurées sur facebook car elles comportaient un sein féminin, les tétons masculins eux ne sont pas sexualisés, encore une fois, il ne fait pas bon être une femme en ligne... même si on a posé pour un peintre il y a plusieurs siècles.

Ce qu'il faut réformer, ce sont ces algorithmes, afin que les activistes ne soient plus systématiquement muselés et finissent par se lasser et ne plus oser parler. Pour que celleux qui publient vraiment des propos haineux et des fake news se voient dérangés. Ainsi que ceux qui font des raids pour museler les activistes. Et pas celleux qui cherchent à combattre cette haine.

Les réseaux sociaux sont récents, omniprésents, grandissent constamment et évoluent beaucoup plus vite que les temps de la justice. Ça ne va pas s'arranger. Mais plein de personnes de bonnes volonté mettent beaucoup beaucoup beaucoup d'énergies et de talents, très souvent bénévolement, pour que ça bouge. J'en profite pour remercier les quelques personnes qui travaillent dans l'ombre sur mon cas personnel en espérant qu'il serve à quelque chose. 

Si vous voulez faire avancer le schmilblick, n'hésitez pas à tweeter la statistique de l'INSEE ci-dessus. Et à demander des comptes à @twitterfrance et @twittersupport pour que ce soit le plus visible possible. Merci à toutes celles et ceux qui l'ont déjà fait, vous êtes des choux à la crème. 

Et merci à Yann et Sandrine, pour le soutien inconditionnel, vous êtes mes préférés du monde entier.



*****

EDIT jeudi 22 septembre

Vendredi 16 septembre, la politicienne française Raphaëlle Rémy-Leleu twittait ça (source).


Elle a été signalée en masse, bien sûr. Mardi 21 septembre, son compte a également été bloqué. Par contre, elle a plus de 25'000 followers, et surtout des appuis politiques important qui ont fait remonté très très vite le bruit de son blocage aux dirigeants de Twitter France. Elle a donc été débloquée. (Source. Profitez-en pour la suivre !)


Avec ce message de twitter. Message important, car il indique que c'est une ERREUR de bloquer un compte qui dit que les hommes violent. Et tuent. Que ce n'est pas de l'incitation à la violence, mais bien factuel.




Comme son compte est important, ça a pris 2 jours. 
Pour le mien, ça pourrait prendre encore des semaines. 
Et je me rends compte que ça me pèse beaucoup trop sur le moral pour subir ça. 

J'utilise twitter depuis 2009 et ce n'est vraiment pas agréable d'en être coupée. D'autant plus que ces deux dernières jours j'avais des chouettes choses à annoncer, qui sont toutes parties de connaissances que j'ai liées sur twitter : mes 10 ans de mariage, un clin d'oeil dans un ouvrage de femmes du vin, la publication de deux de mes recettes illustrées dans une bd. Je ne me rendais pas compte combien ça pèserait. Mais j'en ai marre.

Alors j'abdique. J'ai accepté d'effacer mon tweet qui présentait une statistique. Et twitter m'a envoyé deux messages contradictoires. Je ne sais donc pas si je vais pouvoir retrouver mon compte dans 24h ou dans une semaine.


Mais j'ai pu le passer en compte privé. Et je réfléchis à savoir si j'ai envie de me lancer dans une plus longue bataille anti-musellement des comptes féministes sur twitter avec mes alliées habituelles.

J'espère que ça ne vous décevra pas trop de moi, mais je ne fais pas le poids face à cette machine.


*****


PS : les commentaires de mon blog sont ouverts, mais modérés a priori, à la main. Bisous.



Pour aller plus loin


1 commentaire:

  1. Courage! J'avais vu passer ton tweet avant ton bannissement temporaire et je trouve ça inadmissible de se faire éjecter de Twitter sans possibilité de faire réellement appel alors qu'un paquet de fachos et autres crétins peuvent continuer à déverser leur haine et leur idées anti-progrès. Et personnellement, je ne te juge pas d'avoir effacer ce tweet, je comprends parfaitement que les réseaux sociaux fassent partie intégrante de ta vie en ligne. Ce serait comme se passer du téléphone ou de sa boîte aux lettres juste parce qu'on parle d'une statistiques de l'INSEE...

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