13/05/2015

Couleurs gourmandes



De très nombreuses études scientifiques tentent d'expliquer l'importance de la présentation visuelle de la nourriture, certains ont fait des recherches sur la direction optimale de la nourriture dans une assiette, d'autres ont vérifié le fait qu'on était prêts à payer plus cher pour une assiette bien présentée, d'autres encore ont carrément tenté des assiettes inspirées par Kandinsky pour prouver que la disposition artistique des mets améliore globalement notre expérience de repas. Trois études parmi des centaines d'autres qui arrivent toutes à la même conclusion : on mange aussi avec les yeux. L'adage est vieux comme le monde, mais il me fascine de plus en plus.

En particulier les couleurs que l'on trouve dans une assiette, elles sont souvent le fait des végétaux ou de protéines crues, les féculents et les protéines cuites étant généralement dans les gammes bruns-beige-crème. J'ai remarqué que plus une assiette est "belle", plus elle satisfait mon regard, plus elle satisfera également mon palais... et mon appétit. Je suis rassasiée avec beaucoup moins de quantité de nourriture quand celle-ci a été dressée avec talent.

J'ai remarqué le même phénomène avec d'autres sens : quand le jeu de textures est intéressant à mâcher (le toucher), quand le bruit produit par la nourriture quand je la mâche n'est pas uniforme (l'ouïe) et, évidemment, quand la nourriture sent particulièrement bon (l'odorat) et apporte des saveurs contrastées intéressantes (le goût), bref, quand ce que je mange éveille et ravit mes sens, mon plaisir est décuplé... et la sensation de satiété beaucoup plus rapide.

En découvrant un outil tout simple qui permet de définir les couleurs d'une image et avec l'aide de Canva dont je vous ai déjà parlé plusieurs fois, je me suis penchée sur les gammes de couleurs de quelques-unes des assiettes que j'ai préférées ces derniers mois. Mais, comme vous le voyez dans la photo ci-dessus, il n'est pas nécessaire de manger dans un restaurant étoilé pour ça, quelques fruits coupés, une salade avec plein d'éléments différents ou des touches de couleurs judicieusement placées sur un plat de spaghetti peuvent faire l'affaire pour l'oeil !

Je dois avouer aussi que je suis une piètre dresseuse de plats, j'adorerais suivre un cours pour m'améliorer, si vous en connaissez un, je veux bien un lien ! Mon manque de talent sur le sujet augmente ma fascination pour l'inventivité des chefs et leurs talents esthétiques. Je vous laisse admirer ces palettes et je me réjouis de lire vos réflexions sur ce qu'elles vous provoquent comme émotions ou réflexions.

Oursin aux deux céleris du Restaurant des Quatre Saisons à Charmey
Déposer ces piquants foncés sur un lit de sel blanc, sur une assiette noire, avec des touches d'épices rouges et vertes, ce vert tendre surmonté à nouveau de blanc et à nouveau de rouge, quel tableau, quel sens du drame, quelle narration ! Rien qu'en regardant cette image, j'ai encore le goût subtil de cet oursin en mémoire, je l'ai pourtant dégusté il y a plus de 5 mois. Une très grande recette et une très belle exécution. On dirait de l'art moderne.

Foie gras poêlé, purée de courge et espuma de granny au Restaurant des Quatre Saisons à Charmey
Le même chef passe ici à un camaïeu plus doux, réconfortant, caressant, mais qui manque un peu de contraste si l'on ne s'attarde que sur les couleurs. Par contre, la composition visuelle en terme de formes et de textures visibles est passionnante, encore une fois, on dirait un tableau d'art moderne.


Suprêmes de pigeon avec leur cuisse confite, purée de choux de Bruxelles,
melba de cuchaule, quenelle de coing du Restaurant des Quatre Saisons à Charmey
Du même artiste, en quatre traits, comme pour faire comprendre la magnificence de la chair de pigeon, rouge, grâce au vert des choux de Bruxelles. On dirait que les ingrédients n'ont été choisis que pour leur visuel tellement ils fonctionnent à la perfection. J'en salive encore, cinq mois plus tard. Viens @shalf, on y retourne !



Mais il n'est pas nécessaire de manger dans un restaurant gastronomique pour ressentir ces plaisirs visuels, regardez ce plat de spaghetti, avec uniquement une sauce tomate et quelques pluches de basilic déchiré. Cette merveille de dégustation de produits italiens m'a été servie à Le Strade della Mozzarella lors de son étape genevoise, la simplicité et le génie de la cuisine italienne expliqués en une image. J'ai faim.

Tartare de veau au lard de Colonata de la Brasserie de Montbenon
Et soudain, des roses et des verts, le printemps est arrivé, François Grognuz, le chef de la Brasserie de Montbenon réconforte le délicat veau avec du précieux lard de colonata, le réveille avec quelques radis, des oignons verts, quelques pousses germées et un pschit de citron vert. Un ravissement pour l'oeil et les papilles, un des meilleurs tartare que j'ai mangé. N'est-ce pas absolument ravissant sans aller chercher dans la complication artistique ?

Dos de féra du lac, petits légumes et flans de petit pois à la Pinte Besson
Même simplicité de composition ici, très flatteuse à l'oeil grâce aux couleurs vives des légumes si appétissants. Les recettes de poissons de la Pinte sont toujours exceptionnelles, dire qu'ils y en a encore qui croient qu'on n'y mange que fondues et croûtes au fromage, pfff. 

J'ai réussi à extirper la recette de ces mirobolants flans de petits pois au chef : 1 litre de crème entière, 9 blancs d'oeufs, du sel, du poivre... et des petits pois. A cuire au four au bain-marie. Attention, addiction immédiate.


Gravelax de saumon et crème de raifort du Coq de la Place à Rodez

Revenons à l'art moderne. N'est-ce pas somptueux ? L'équilibre n'est-il pas parfait ? Ces gouttes de réduction de betterave, ces bâtonnets verts, blancs et roses qui mettent en valeur ce rose profond du saumon, ces pointes de sauce crème-raifort posées comme des perles au milieu d'autres joyaux. Quel talent ! Et oui, l'équilibre et le contraste étaient tout autant impressionnants dans les saveurs. J'ai adoré ce plat.

Sashimi de sériole, avocat, salicornes, réduction d'orange sanguine, à l'Eligo, Lausanne
C'est avec un bonheur non dissimulé que j'ai découvert quelques mois plus tard, dans un autre pays,  à une autre saison, un dressage aux codes similaires. Encore une fois, les premiers mots qui me viennent à l'esprit sont équilibre et contraste. Equilibre et contraste des couleurs, des textures, des formes, des saveurs. Mêmes réflexions globales sur la saison et l'excellence des produits, et, pour l'anecdote humaine derrière le plat, parcours similaires de deux chefs, chacun a décidé de quitter un maison étoilée pour se rapprocher de l'esprit bistrot, brasserie, et ouvrir leurs propres adresses. Ce sashimi de sériole est un des meilleur plat de poisson que j'ai mangé, il est tout simplement parfait.

Poireau et sa "sauce gribiche" à l'Eligo
Je vous parlais de l'esprit brasserie, quoi de plus brasserie qu'un poireau vinaigrette ? Ici c'est une sauce gribiche déconstruite très intéressante dans son jeu de textures autant à la dégustation que pour les yeux. Cette "poudre" de jaune d'oeuf rend sa couleur encore plus éclatante, on est dans un printemps rayonnant. Et malgré la sophistication du côté "déconstruit", tout se déguste très simplement et sans chichis. Très jolie entrée en matière.

Tarte aux fraises, à l'Eligo
Dessert ? Printemps ? Fraises. La douceur de ces pastels renforce le rouge de ces jolies baies-bijoux, des fleurs pour en ajouter à l'odeur et à l'oeil et on ressort d'un tel repas comme apaisés par tant de beauté. Vous l'avez compris, j'ai adoré ma visite à l'Eligo avec tous mes sens. Je vous encourage à une première visite le midi, pour appréhender le lieu, une carte réduite, un plat du jour autour de 25/27.-, un menu du jour autour de 42/45.- selon les produits du marché et l'humeur du jour de Guillaume Reineix (que le printemps met apparemment de fort belle humeur), un joli cadeau à s'offrir pour un moment hors du temps. 



Si j'ai adoré les deux plats précédents grâce à leurs contrastes de couleurs, de goûts et de textures, je me rend compte que des palettes plus uniformes, des camaïeus d'une ou deux couleurs, nous amènent plus directement vers l'aspect comfort food. Ce sandwich toasté servi avec une salade, une boisson ET un café pour 17,50 au Blackbird Social Club fait le travail du confort à merveille.


Finissons avec un camaïeu unique, du beige, du brun, du doré, une tarte aux pommes qui sort du four, y a-t-il plus réconfortant ? Celle-ci c'est la recette de ma mère, il n'y a aucune recherche de couleur, et cela gâcherait d'ailleurs ce plaisir simple. Cette image m'attire car je connais ces parfums par coeur depuis mon enfance. Mais aucune satiété n'est provoquée par le visuel cette fois-ci, qu'importe, j'en prendrai une deuxième tranche !


Ces couleurs vous parlent ? Avez-vous souvenir d'un plat particulièrement beau, ses couleurs étaient-elles contrastées ? Je me réjouis d'avoir vos avis à ce sujet, ces palettes me fascinent, mais je ne sais pas encore totalement ce qu'elles impliquent dans ma construction du plaisir gastronomique, même si je vous ai présenté des hypothèses ci-dessus, les vôtres sont bienvenues !

1 commentaire: