23/09/2019

Cultures du riz aux États-Unis

Riz sauvage, riz rouge" et riz californien.

Heddi, la femme qui écrit le merveilleux blog Cuisine Helvetica, ne se doutait probablement pas qu'en m'offrant un paquet de riz sauvage de son Minnesota d'origine, elle déclenche un tel article. L'origine de son riz m'a intriguée, j'ai été m'informer en ligne. Quelques semaines plus tard, je suis tombée sur une vidéo passionnante de Eater (ci-dessous) qui m'expliquait une autre culture du riz, qui m'a poussée à fouiller encore un peu. Et nous y voici, un condensé rapide qui illustre combien une plante peut être un marqueur historique et sociologique.

Donc, aux États-Unis, il y a une culture du riz, ou plutôt des cultures de riz. Ça peut paraitre étrange à qui n'imagine que burger et milkshakes, mais elles sont très développées et font parties intégrante de l'Histoire du pays.

La première culture du "riz" commence bien avant que les États-Unis n'existent, les tribus des Premières Nations consommaient une céréale qu'on appelle aujourd'hui "riz sauvage", qui n'est pas exactement de la même famille mais un proche cousin : Zizania Aquatica. Son grain est très long, noir, il peut se cuire de la même manière que du riz et est particulièrement savoureux. Une variété poussait à l'état sauvage dans la région des Grands Lacs, ainsi que dans certaines plaines marécageuses canadiennes, une autre plus au Sud dans les régions humides de ce qui constitue aujourd'hui la Floride et le Texas.

By S. Eastman - The American Aboriginal Portfolio, by Mrs. Mary H. Eastman.
Illustrated by S. Eastman. Philadelphia: Lippincott, Grambo & Co. 1853.

Les aborigènes utilisaient des petites embarcations pour récolter le riz sauvage dans les plaines inondées. Certaines tribus considèrent cette plante comme sacrée et nombreux lacs et rivières dans le Nord des États-Unis et au Canada portent des noms qui se réfèrent à cette plante (y compris le nom des États Minnesota et Wisconsin).

Sa culture intensive n'est apparue que très tardivement (dès 1950), après un regain d'intérêt pour ses très hautes valeurs nutritives et son goût incomparable. Ce riz sauvage est cultivé aujourd'hui en Californie, au Minnesota, au Canada...  et même en Australie et en Hongrie.


(D'autres recettes des Premières Nations.)

La deuxième culture du riz est arrivée d'Afrique de l'Ouest.

Revenons un peu en arrière, le riz lui-même (Oryza Glaberrima, ou Riz de Casamance, ou riz rouge) a été domestiqué et cultivé en Afrique bien avant que les explorateurs européens atteignent l'Asie et n'en reviennent, probablement plus de 2'000 ans selon les connaissances scientifiques actuelles. Cette variété a probablement été importée de Mésopotamie par des explorateurs arabes et domestiquée depuis le Lac Tchad jusqu'à la côte Ouest Africaine. Quand les portugais ont "visité" l'Afrique de l'Ouest, du riz y était déjà cultivé avec succès. (Si vous voulez en lire plus sur l'origine de cette culture, ce texte est passionnant, les trois images ci-dessous en sont tirées.)

Origine et diffusion du riz rouge africain.

Toutefois, en colonisant, les européens ont aussi amené la variété de riz asiatique (Oryza Sativa). En développant le commerce des esclaves, les colons ont provoqué un changement des cultures, en favorisant le riz blanc (asiatique), préféré au rouge (africain), et qui sera cultivé en grandes quantités (grâce aux savoir-faire locaux) afin de pouvoir nourrir les équipages et les esclaves des bateaux qui allaient vers les États-Unis.

Image publiée en 1859 dans le Harper's New Monthly Magazine,
 intitulée "The Rice Lands of the South'"

C'est cette culture de riz a été reproduite dès le XVIIe siècle un peu partout dans le Sud des États-Unis, à nouveau grâce aux esclaves qui savaient comment se cultive cette plante. Plus précisément grâce aux femmes esclaves, car c'est elles qui travaillaient les champs de riz en Afrique et se transmettaient le savoir-faire des rizicultures inondées de mères en filles. Les hommes préparaient la terre à la saison sèche, puis les femmes plantaient et repiquaient le riz avant que les fleuves débordent ou la saison des pluies. C'est également elles qui le récoltaient et le transformaient.

Femme battant le riz en Géorgie, 1915.

Ces connaissances en botanique, agriculture et préparation du riz ont été utilisées par les industriels américain, avec un succès particulier en South Carolina, ce qui a donné une variété aujourd'hui célèbre : le Carolina Rice.

De très nombreuses recettes du Sud des cuisines Créoles, Cajun, Soul Food, ou toutes les traditions culinaires alentours, utilisent ce riz comme un ingrédient prédominant. Pensez gombo, jambalaya, dirty rice, chicken and rice, rice and beans, etc. Une grande partie de ces plats revendique également une filiation directe avec la cuisine de la Côte Ouest africaine.



La troisième culture du riz est plus récente, moins connue, mais pas d'origine plus joyeuse... elle vient des immigrés japonais.

Il y a eu une grande vague d'immigration japonaise aux États-Unis dès 1880, date à laquelle le Japon a autorisé l'émigration. En 1882, a été votée la loi appelée "Chinese Exclusion Act" qui a ouvert la porte aux japonais qui sont arrivé en grand nombre pour devenir des employés très mal payés. Il a fallu attendre 1900 pour que certains puissent s'acheter un petit bout de terre (ou un commerce). Les premières plantations de riz commencent, malgré une très forte ségrégation mise en place contre les japonais. En 1913, les japonais sont interdits d'acheter de la terre, en 1924, l'immigration japonaise est totalement interdite. Ceux qui sont aux États-Unis subissent une répression de plus en plus forte. En 1941, après l'attaque de Pearl Harbour, les leaders japonais sont emprisonnés partout aux États-Unis. En 1942, les camps d'internements sont mis en place sur la côte Pacifique et plus de 110'000 personnes sont internées, 62% ont pourtant acquis la nationalité américaine, 30'000 sont des enfants. Si les interné·e·s avaient des terres, elles leur ont été confisquées. Ces actions étaient particulièrement populaires auprès de leurs voisins fermiers blancs, qui ont ainsi spolié leurs terres.

Photo de Dorothea Lange - U.S. National Archives and Records Administration : "Members of the Mochida family awaiting evacuation bus. Identification tags are used to aid in keeping the family unit intact during all phases of evacuation. Mochida operated a nursery and five greenhouses on a two-acre site in Eden Township. He raised snapdragons and sweet peas."

Les camps ferment petit à petit en 1945, après une décision de la Cour Suprême les déclarant inconstitutionnels. La plupart des interné·e·s avaient perdu tous leurs biens, leurs terres, leurs moyens de subsistance. Sans compter le racisme anti-japonais qui ne s'était pas éteint au sein de la population américaine après des décennies de propagande. En 1948, est mis en place le "Japanese-American Claim Act", une loi de réparation pour ceux qui avaient perdu leur propriété à cause de leur internement, de très nombreuses demandes ont été faites, ce qui a pris des décennies. Exemple avec la famille Koda qui a eu sa "réparation" en 1966 (histoire à la fin de la vidéo ci-dessous).



Cette vidéo explique très bien le système de culture du riz et le travail produit pour séparer le grain de la plante.

Revenons à 1948. Pour tenter de se rétablir en temps que partie intégrante de la population, quelques leaders japonais-américains, dont Keisaburo Koda, forment la Japanese American Citizens Ligue, qui aidait les japonais-américains à s'assurer, à avoir accès au système bancaire, et qui a mis en place un système d'apprentissage d'agriculture pour les jeunes, du Japon et des États-Unis. Système qui a abouti à l'installation d'un certain nombre de japonais-américain à leur compte et, on y revient, à une culture du riz, en particulier en Californie.

Robin Koda, descendante de Keisaburo Koda, co-owner de Koda Farm ©Vogue

La famille Koda par exemple a développé une variété qu'ils ont appelé Kokuho Rose, qu'ils disent "du terroir" de la Californie. C'est un grain court, travaillé à la japonaise, pour être très blanc, floral. Il peut être utilisé en riz d'accompagnement, en riz à sushi ou même en risotto ou paëlla, qu'ils développent en variété blanche, complète et bio. Ils produisent aussi du riz japonais parfait pour faire de la farine de riz ("sweet rice" ou "mochi rice"). Une tradition familiale, culturelle, adaptée à leur terroir et aux goûts californiens.

Comme quoi le "California roll" est finalement plus authentique qu'on ne l'imagine...



Terminons cet article avec cette chouette vidéo de Bon Appétit qui décrit 12 types de riz différents et les plats emblématiques qui leurs correspondent.





Mes recettes avec du riz :


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