La Mirada invisible (Diego Lerman, Argentine, 2010)
1982, Buenos Aires vit au rythme de la dictature militaire. Le Colegio où se passe toute l'histoire (à quelques scènes près) sert de huis-clos à cette ambiance pesante, au centre de la ville, entendant tout ce qu'il s'y passe (la déclaration d'entrée en Guerre des Malouines, dernière offensive des militaires pour tenter de galvaniser la population afin de se maintenir au pouvoir) mais détachée de ce qui s'y passe... malheureusement, car dans ce film il ne se passe RIEN. Du tout. Avant les dix dernières minutes qui se terminent de manière très abrupte. L'ambiance pesante comme métaphore de la dictature aurait pu fonctionner si ce n'était ce néant de l'action. Je veux bien qu'un film qui s'appelle "le regard invisible" (malgré la traduction française "l'oeil invisible" qui ne veut rien dire) puisse du coup être contemplatif, mais il y a des limites au rien... ça ne nous laisse le cerveau disponible que pour réfléchir et critiquer le reste. A quoi bon ce côté scato ??? Quelle conclusion pour cette fin violente ? "La dictature c'est mal" ? Hum.
L'ambiance sonore est par contre extrêmement intéressante avec une utilisation du hors-champ tout à fait passionnant (qui aurait mérité d'être exploitée beaucoup plus profondément), faisant de ce Colegio, où se passe toute l'action (hum) du film le véritable hors-champ de l'action réelle des rues adjacentes, le générique final est d'ailleurs la partie qui m'a parue la plus intéressante dans ce film. Ce film aurait pu être beaucoup plus intéressant si ce contraste de hors-champ avait été exploité plus avant.
Ce qui m'a fait penser à une performance étonnante que j'ai vécue à Buenos Aires. Sur la Plaza de Mayo, devant la fameuse Casa Rosada (qui est la "Maison Blanche" argentine, mais qui n'est peinte en rose que sur un des côtés, avec la légende urbaine/blague qui circule sur la corruption tellement collée à l'image de pouvoir disant que la peinture trois autres faces aurait été au budget de chaque gouvernement... mais jamais effectuée), là où les fameuses Madres tournent avec leurs fichus blancs, là où on été annoncés tous les coups d'état, tous les rétablissements de la démocratie, là où les guerres ont été promulguées, sur cette place qui a vécu tous les grands moments de l'histoire argentine, un groupe de jeunes artistes a crée une oeuvre éphémère incroyable. J'y étais par hasard, et tout d'un coup, un son, très fort, commence à se faire entendre, petit à petit je comprends que c'est un discours et je remarque les énormes enceintes. Pendant 1h30 s'est déroulée dans mes oreilles l'Histoire argentine (j'avais heureusement à mes côtés quelqu'un pour me décortiquer les nombreux épisodes que je ne connaissais pas), et sous mes yeux, les habitants qui la revivaient. Des larmes, des rires, des yeux effrayés, des gens qui s'arrêtent et qui ne bougent plus, emportés par leurs souvenirs. Des manifestations qui ont fait basculer le pouvoir aux discours de chefs d'Etat (ou de leurs épouses), des bruits de tirs à ceux d'hélicoptère s'envolant en emenant un Président démissionnaire qui a laissé un pays dans la misère, des Madres aux victoires de Coupes du Monde de Football, toutes les émotions se mêlaient. J'ai rarement vécu autant d'intensité, en pleine rue, entourée de parfaits inconnus. Etonnant, magique, bouleversant, passionnant, hautement politique, un moment extraordinaire.
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