Depuis plusieurs années maintenant, je sais que je n'aurai pas d'enfant. Ce n'est pas que je ne puisse pas en avoir, biologiquement parlant, c'est que je n'en éprouve pas le désir. Ni hier, ni aujourd'hui, ni demain. De la même manière que certaines personnes ressentent viscéralement le désir de devenir parent, au fond de mes tripes, je ressens ce non-désir.
Il y a quelques décennies, il était pratiquement impossible d'en parler, aujourd'hui de plus en plus de personnes osent exprimer leur non-désir d'enfant. Ce qui a été mon cas, après en avoir discuté sur Internet avec des plus ou moins inconnus, j'ai enfin osé dire que non, je n'avais pas envie d'avoir d'enfant, à mon entourage. Pourquoi en parler ici ? Et bien parce que c'est ensuite que les problèmes commencent.
Quand j'ai enfin libéré ma parole, j'ai eu une période où j'avais besoin de le dire à tout le monde. Et je m'en suis pris plein la gueule. J'ai été insultée par des gens bien-pensant qui pensaient me "sauver", considérée comme une cruche écervelée par certaines personnes que je considérais comme proches, interrogée sur mes choix et convictions les plus intimes par de parfaits inconnus. C'était délicieux.
Petit florilège des remarques qui m'ont été faites
Tu es égoïste !
Pourquoi ? Parce que je ne veux pas surcharger la planète de ma progéniture ? Le fruit de MES entrailles risquerait de sauver le monde et sans lui donner vie je voue la planète entière à la déchéance ? Allons, allons, espérons que Kévin, le petit couvert de morve que je vois accroché à tes pantalons, jouera ce rôle.
La réflexion de l'égoïsme vient souvent de jeunes parents épuisés-mais-heureux-c'est-le-plus-beau-métier-du-monde. L'idée que je ne sacrifie pas mes futures grasses matinées à la mission fondamentale de l'humanité leur paraît abominable. C'est aussi l'argument qui me touche le moins, je le trouve totalement hors sujet.
Mais tu n'aimes pas les enfants ?
Et bien Ginette, détrompes-toi, j'adore certains enfants. D'autres me sont indifférents, d'autres me hérissent le poil. Comme beaucoup de parents d'ailleurs, qui ne supportent que leurs propres enfants et pas ceux des autres. Mes deux neveux et ma nièce sont parmi les gens que je préfère au monde, je tente de les voir dès que possible, je me réjouis de les voir grandir et, d'après leurs parents, je me comporte de manière très adéquate avec eux. D'ailleurs on me trouve plutôt douée avec les enfants en général.
Mais ce n'est pas parce que j'adore les rhinocéros que j'en ai adopté trois. Avoir de l'instinct sur la manière d'interagir avec les enfants n'implique pas d'avoir envie d'être parent.
Tu te rends compte que tu vas vieillir seule ?
Bravo Gaston, tu détiens la palme. Donc toi, tu as fait/vas faire des enfants pour ne pas être seul quand tu seras vieux ? Bel esprit. On revient à l'égoïsme deux secondes ou tout le monde a saisi l'ironie ? Il faudrait aussi poser la question dans les EMS, pour voir si tout leurs habitants sont childfree...
Et non, je ne serai pas seule, mais entourée de ceux que j'aurai choisi et qui auront choisi de m'entourer. Une personne qui ose même imaginer une seconde que ce pourrait être un argument en faveur de faire des enfants devrait avoir son permis pour faire des enfants retiré immédiatement. Ah non, ce permis n'existe pas. Quel dommage !
Tu vas changer d'avis, tu verras !
Oui, tu sais certainement mieux que moi ce que je ressens. Cette affirmation, souvent prononcée par des jeunes mères comblées, ou futures-mères comblées, est une des plus blessante qui soit. D'abord elle est particulièrement infantilisante et elle insulte mon intelligence, ensuite elle pose un jugement de valeur qui implique que FORCEMENT toute femme DOIT être mère et que toute autre possibilité est une aberration. J'ai appris, au fil du temps, que je ne pourrai plus discuter avec ces personnes-là, c'est inutile.
Quand il s'agit de personnes que je suis dans l'obligation de côtoyer régulièrement, pour ne pas ramener le sujet à chaque fois qu'il y a une naissance dans le coin, je mens parfois en disant que je ne peux pas en avoir, ça leur cloue le bec et c'est réglé. (Après la publication de cet article, je ne pourrai plus, damned.)
Tu te rends compte de tout ce que tu vas rater ?
Non. Je ne pense pas que l'on puisse se rendre compte de ce qu'est être parent sans être parent. Tant mieux peut-être. Mais plus j'entends parler les jeunes parents de leur épuisement total, les parents d'adolescents des souffrances que cet âge douloureux peut engendrer, plus je me dis que si on pouvait s'imaginer ce que c'est vraiment, il y aurait peut-être plus de childfree.
Ce que je sais c'est que je ne me sentirai jamais à la hauteur de la responsabilité d'être parent, et je suis très admirative pour ceux qui font du mieux qu'ils peuvent, sans jamais lâcher, bravo à eux. Mais ça continue de ne pas m'attirer du tout comme expérience.
Je n'ai jamais sauté en parachute non plus. Et je ne me rends pas compte non plus de ce que je rate. Et on vit très bien sans.
Pourquoi ?
C'est ça la vraie question. Même si elle est intime, la seule et vraie question que vous pouvez poser légitimement à quelqu'un qui vous dit ne pas vouloir d'enfant est "pourquoi ?".
Dans mon cas, c'est une simple et très viscérale non-envie.
Couplée à des centaines de raisons accessoires qui n'ont que peu d'importance au final, comme pour le choix de faire des enfants j'imagine. Ce n'est pas compatible avec mes multiples vies parallèles, pas compatible avec mon budget, pas compatible avec mon style de vie en général, pas compatible avec mon idéal de vie. Pas compatible avec ma liberté d'être celle que je suis, pour résumer. Et je ne parle pas des raisons éthiques et de mon pessimisme pour l'état de notre petite planète dans quelques décennies.
Et, tout simplement, la maternité n'est pas indispensable à mon épanouissement.
"La non-parentalité n'est pas l'expression d'une névrose ou d'une immaturité ; au contraire, il s'agit d'une décision complexe dont les avantages sont sensés dépasser le coût de la non-conformité sociale." (Campbell E. Becoming voluntarily childless: an exploratory study in a Scottish city. Soc Biol. 1983 Fall;30(3):307-17)
Quand j'ai enfin libéré ma parole et fait mon coming out childfree, le plus intéressant a été de découvrir que nous sommes nombreux (
en Suisse, entre 25 et 30% des femmes n'auront pas d'enfants). La parole est plus libérée dans certaines régions que d'autres (ce qui ne pose plus de problème en Allemagne, amène encore des centaines de questions dérangeantes en France ou en Espagne, par exemple). Les mouvements
childfree (par opposition à
childless = ne peut pas avoir d'enfant) ou
no kid sont de plus en plus visibles, à travers cette visibilité l'acceptation de ce choix -fondamentalement intime- par la société en général va s'améliorer. C'est aussi pour cette raison que j'en parle.
J'avoue que c'est aussi parce que c'est souvent un plaisir de parler avec d'autres non-parents par choix, et que j'espère qu'ils vont sortir du bois de plus en plus nombreux. Que vous soyez parent, non parent, curieux ou sympathisant, je me réjouis de lire votre commentaire et je vous offre ce Childfree Bullshit Bingo.
Edit : suite à une conférence organisée le 30 septembre 2014 par l'Association
Bloom and Boom intitulée "
Etre femme et épanouie sans enfant" avec l'auteure Isabelle Tilmant qui a beaucoup écrit sur le sujet, plusieurs médias m'ont contactée pour parler du sujet. Après une longue réflexion, j'ai refusé.
Pourquoi ?
Parce qu'après plusieurs années à en parler régulièrement, dès que je pouvais en fait, j'en ai un peu marre, c'est un sujet intime que je n'ai pas envie d'étaler avec mon visage à la télé, par exemple. Alors que je sais que c'est nécessaire, que c'est en entendant des témoignages que j'ai pu libérer ma propre parole, merci à celles et ceux qui ont accepté de le faire.
Mais aussi parce que j'en ai marre que cette problématique soit traitée sous l'angle "les femmes sans enfants", décider de faire un enfant n'est pas une histoire de femme mais une histoire de couple. Ne pas en avoir également. Je ne pourrais être dans un couple où mon compagnon aurait terriblement envie d'avoir des enfants, ce ne serait pas possible. Mon mari a accepté d'ailleurs de
répondre à une journaliste.
Enfin, parce que l'angle de traitement me gonfle particulièrement. On cherche à expliquer pourquoi quelqu'un a fait ce CHOIX. Or pour moi ce n'est pas un choix, mais une non-envie. De la même manière que certains ont des enfants parce qu'ils en ont envie, on ne leur demande pas pourquoi ils ont fait ce choix. Qu'on essaie de me caler dans les cases "études supérieures (= carriériste)", "trop peur de perdre sa liberté (= égoïste)", ou "pas prête à assumer ces responsabilités (= immature)" m'insupporte, et on en revient au propos de mon article. Même les spécialistes du sujet finissent par l'aborder sous l'angle du choix rationnel, malgré leurs réticences à le faire, parce que les journalistes les interrogent dans ce sens et uniquement dans ce sens, il faut une raison, une explication, une justification. La non-envie toute simple n'est jamais qu'un prétexte à décortiquer, il ne PEUT PAS être la seule explication. Et pourtant si.
Je n'ai pas envie.
Et je m'autorise le droit de le dire et de le vivre ainsi. C'est peut-être ça qu'il faudrait plutôt décortiquer : comment la société a évolué jusqu'à ce point où un humain peut décider qu'il n'a pas envie de se reproduire. Ne serait-ce pas le summum de l'évolution ?
(Ceci est une provocation, merci de ne pas me prendre au sérieux, bisous.)