Samedi dernier, j'ai eu la chance de pouvoir déguster un repas gastronomique préparé uniquement avec des produits destinés à la poubelle, et c'était délicieux.
Tout commence avec
Denis Corboz (aka
@levolatile sur twitter), enseignant, musicien, conseiller communal, mais sa casquette qui nous intéresse ici c'est celle de gourmet. Quand il voit une camionnette de l'association Table Suisse avec le slogan "Récupérer - distribuer - nourrir", il s'interroge et fait quelques recherches, suivies de quelques rencontres. Et il se passionne pour le sujet, il découvre alors
le pourcentage d'aliments qui terminent à la poubelle en Suisse (2 millions de tonnes par an, ce qui correspond à environ 30%) et le fait que ces chiffres sont très peu connus. Et il décide de créer un événement pour sensibiliser la population à ce déprimant gaspillage.
Il contacte alors
la CARL et
Table Suisse, qui sont les associations qui récupèrent à Lausanne les aliments sortis des rayons des magasins ou des surplus des producteurs, et les redistribuent à des associations telles que les
Cartons du Coeur, des foyers d'urgence, cuisines populaires, centres d'accueil, etc. Ces associations qui récupèrent ne manquent pas de produits, au contraire, ils en récupèrent des tonnes, qu'ils essaient de redistribuer en totalité, ce qui est parfois plus compliqué. Ce qui leur manque, ce sont plutôt des moyens financiers.
Les produits récupérés sont souvent des produits sortis de rayons de supermarchés parce qu'ils ont dépassé la date limite de vente (DLV), mais pas la date limite de consommation (DLC). Il y a même très souvent des produits n'ayant même pas dépassé la DLV, les clients rechignant à acheter des produits s'en approchant, certains magasins anticipent et sortent certaines marchandises de rayon avant même la DLV, et donc parfois plus de 6 à 10 jours de la DLC pour de la viande ou des produits laitiers, et plusieurs semaines pour des produits d'épicerie sèche.
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Exemple des produits récupérés et utilisés par le repas du soir :
clémentines, champignons, lentilles, chocolat, lait, etc. |
Après les associations, il fallait trouver comment mettre ces produits en valeur. En allant manger à la
table d'hôte de Eric Godot à La Source des Saveurs (que je vous recommande vivement, tous les mardi et jeudi midi, une occasion en or de découvrir ce personnage passionné et passionnant), Denis Corboz a proposé l'aventure au chef qui a immédiatement accepté ! C'est pourtant un challenge inédit, Godot est habitué à être approvisionné en produits exceptionnels au quotidien, là il est question de faire avec des invendus de supermarchés pour 170 personnes !
Le quatrième partenaire de la soirée était la flamboyante
Brasserie de Montbenon, qui a offert son cadre exceptionnel qui a permis de régaler 170 couverts. C'était assez inédit de voir deux brigades, celle de la Source des Saveurs sous la direction d'Eric Godot et celle de la Brasserie de Montbenon sous la direction de François Grognuz, dresser les plats de la soirée à 10 mains. (Oui, ma critique du lieu vient bientôt, patience petits padawans.)
Comment cela s'est-il déroulé concrètement ? Le chef Eric Godot s'est décidé assez vite sur deux composants de son menu en consultation avec Table Suisse : du poisson en entrée et de la volaille en plat. A l'époque de sa décision, il était question de 40 couverts. Puis, face à l'intérêt populaire et à la grande disponibilité de l'équipe de la Brasserie de Montbenon, la quantité de couverts est montée à 170. Impossible d'être sûrs d'avoir autant de ces ingrédients indispensables en quelques jours. Eric Godot a donc récupéré, depuis 2 mois, poisson et volaille, ayant dépassés la DLV mais pas la DLC, et les a congelés au fur et à mesure afin d'avoir la quantité adéquate pour construire 170 assiettes. Mais tout s'est accéléré la semaine précédent la soirée. De plus en plus impressionné par la qualité des produits qu'il voit passer, Eric Godot décide le mardi précédent la soirée que finalement, ce ne seront pas trois, mais cinq plats qui seront servis aux 170 convives, grâce à de magnifiques bottes d'asperges, à du boudin noir, à des pommes, et à du surplus de poisson.
La totalité des plats ont été cuisinés avec des produits récupérés par Table Suisse et la CARL, et c'était l'excédent de l'excédent, afin de ne pas priver les associations bénéficiaires habituelles, à deux mini-exceptions près : des oeufs pour une idée de dernière minute du chef qui n'a pas eu le temps d'en récupérer suffisamment dans le processus et certaines matières grasses.
Ces 5 plats ont été dressés et servis entre 19h30 et 21h15, au grand plaisir de tous les convives présents, dans une ambiance chaleureuse et enjouée, avec un service efficace et souriant, j'ai été impressionnée par cette efficacité en toute décontraction.