Fin 2015 est sorti un ouvrage intitulé "Bonheurs Gourmands au Chalet-des-Enfants". C'est un peu un livre de cuisine, car il y a des recettes (une vingtaine), mais c'est aussi et surtout le portrait d'un lieu, l'Auberge du Chalet-des-Enfants, dans les hauts de Lausanne, au milieu des bois du Jorat, qui a 6 siècles d'histoire, c'est enfin le portrait d'une région et des femmes et hommes qui produisent les ingrédients locaux qui composent la carte.
Et c'est l'histoire d'une équipe, dont Romano Hausenauer est le chef d'orchestre, du Chalet-des-Enfants, depuis plus de 10 ans (et de l'Auberge de l'Abbaye de Montheron depuis 5 ans). C'était l'occasion pour lui d'affirmer son amour de ce lieu, de ses producteurs avec qui il collabore tout au long de l'année et de la cuisine de terroir qui suit les saisons. Pour cet ouvrage il s'est entouré d'une photographe, Magali Koenig, et de deux plumes connues des gastronomes vaudois, David Moginier et Patrick Morier-Genoud.
Ce n'est PAS un "livre de cuisine" traditionnel, dont on lit éventuellement l'édito, et qu'on feuillette en y mettant des post-it plein d'ambition qui veulent dire "je vais définitivement faire cette recette", livre qui finit en général rangé dans une bibliothèque et dont une, voire deux recettes à peine ont été testées, avant qu'on ne l'oublie à tout jamais. Ici, c'est un livre, qu'on lit. Enfin qu'en tout cas pour ma part j'ai lu, de la première à la dernière page, avec grand bonheur. D'abord, l'objet est beau, la mise en page épurée, les images nous plongent dans les saisons, dans les plats, nous présentent des personnes. Ensuite, c'est très agréable à lire, de l'histoire du lieu au déroulé des recettes.
Extraits choisis :
"Restaurations et agrandissement font entrer l'auberge dans le XXe siècle. Les tenanciers sont tenus par contrat [avec la ville de Lausanne à qui appartiennent ces terres et l'auberge] à ne servir que "des consommations de bonne qualité" et uniquement du vin vaudois, sauf en cas de force majeur. Les promeneurs se font toujours plus nombreux. La plus célèbre d'entre eux n'est autre que Coco Chanel qui, du Beau-Rivage Palace où elle a habité de 1945 à 1954, aimait se promener dans le Jorat et s'arrêter ici pour un bol de lait et une part de flan."
Je ne sais pas vous, mais j'ai envie d'un bol de lait, d'une promenade en forêt, et d'une part de flan !
"Tous les mercredis et samedis, elle est juste devant la fontaine de la Palud, à Lausanne, avec son stand et son sourire. Car, sous la Fontaine de la Justice, Marinette Hess-Hadorn sourit toujours de cette gentillesse naturelle qui l'habite. Elle sait la valeur des choses et remercie la nature de les lui avoir données. Avec Ulrich, son mari, puis avec son fils, Frédéric, qui a repris la direction de l'exploitation, ils font pousser de merveilleuses choses sur leur exploitation du Mont-sur-Lausanne, en pleine terre, à l'extérieur ou sous des serres non chauffées, parce que ce ne serait pas naturel. "On n'aime pas faire les choses en grand, alors on diversifie", dit-elle pour expliquer la palette incroyable de produits qui sortent de chez eux."
Marinette est aussi ma maraichère favorite, celle que je ne manque jamais d'aller voir au marché, pour prendre la température de la saison des fruits et légumes (et fleurs) c'est mon stand fétiche. Sachez qu'elle vend aussi des légumes "préparés" sous vide, par exemple des brunoises de légumes pour faire des soupes ou des bouillons, des pommes de terre taillées du roesti à la frite, des courges découpées, etc. C'est de la convenient food locale, de saison et sans intermédiaire, juste la grosse classe.
"Leur première récolte de lentilles, les Vuillamy l'ont triée à la main, sur la table de leur cuisine. Une tonne et demi ! Ça leur a pris 18 mois, ils vendaient au fur et à mesure de la mise en paquet. Aujourd'hui, Laurent Vuillamy s'est équipé de deux machines : un trieur à céréales et une table densimétrique. "Mais ce n'est pas efficace à 100%, alors on continue de trier une partie à la main. On ramasse énormément de terre et de petits cailloux au moment de la récolte. La difficulté avec les lentilles, ce n'est pas la culture, c'est le triage. Pour 5 à 6 kilos, il faut trois heures. Chaque grain est passé en revu. Il faut être fou pour pratique comme moi." Et il rit, malicieux. Il est un des seuls à produire des lentilles vertes dans le Canton de Vaud, le seul à oser se lancer dans ce genre d'aventure avec le sourire aux lèvres. Pour sa première livraison, au Chalet, les lentilles étaient emballées dans des sacs en tissus faits maison."
Quelques paragraphes plus tard on apprend que ce charmant fou s'est aussi lancé dans la production de maïs pour polenta et, grande nouveauté, de maïs à popcorn ! Tout ça est une excellent manière d'introduire la recette de la Soupe de lentilles au boutefas, qui commence ainsi :
"Une merveilleuse et dodue charcuterie vaudoise qui était autrefois servie les jours de fête. Comme il y en aura toujours trop pour la quantité de soupe, vous mettrez le reste au frigo et le mangerez froid, les jours suivants, coupé en fines tranches. Vous pouvez remplacer le boutefas par le plus élancé saucisson vaudois." Suivi, en note de bas de page où se trouvent les merveilleuses astuces du bouquin, je crois d'ailleurs que c'est ce que je préfère dans l'ouvrage : "Ne piquez jamais le boutefas, le saucisson ou la saucisse aux choux avant de les cuire, vous perdriez la graisse (et le goût !) dans l'eau de cuisson."
Le débat sur le piquage de la saucisse est donc clos, le Chalet-des-Enfants a parlé.
Que dire de plus sur cet ouvrage ? Peut-être dévoiler son sous-titre : Histoire, produits et recettes d'une ferme-auberge. C'est ambitieux et modeste, la fierté du travail accompli quotidiennement est présente sans jamais se faire prétention. Ce travail bien fait, éthique, esthète, transparaît dans ce livre-portrait d'une auberge. Je le recommande à tous les gourmands, amateurs de terroir, lausannois curieux de leur histoire ou amoureux de beaux livres.
Vous pouvez vous le procurer en le commandant sur le site du Chalet-des-Enfant, dans les meilleures librairies de la place... ou au marché, sur le stand de Marinette !
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